Pour un Cameroun
de fourmis
DANIEL BOO. Le promoteur de l’association Man Tata
demande une pause politique en 2007.
Vous demandez le report des élections
législatives et municipales prévues cette
année au Cameroun. Pourquoi ?
Le Cameroun a mal à sa mémoire. L’hédonisme,
c’est-à-dire le culte des biens matériels, a
tellement gagné du terrain que tout, dans
notre pays, se régule désormais en fonction
du «décret de 13 heures», et des «avantages de
toute nature» attenant à la fonction.
Cela fait exactement 6 ans (janvier 2001) que
nous n’avons eu de cesse de tirer la sonnette
d’alarme sur le «retour à l’Etat», en lieu et place
de «l’unité» qui ne saurait être autre chose
que la «forme de l’Etat», dans la mesure où
la célébration de l’Etat unitaire ne relève que
de l’obsession effrénée de M. Ahidjo – paix à
son âme – à briguer à tout prix la «notoriété
centrale» dans l’histoire du Cameroun.
Après avoir tour à tour placé aux oubliettes
la création de l’Etat sous André Marie Mbida
(1957), puis l’indépendance (1960) sous
l’impulsion des nationalistes, il ne lui restait
plus qu’à initier et imposer sa propre date de
référence qu’est la date de la réunifi cation (20
mai 1972).
Aucun crime n’étant jamais parfait, les attributs
de la souveraineté nationale (hymne, drapeau
et devise) sont quasiment restés intacts jusqu’à
ce jour. Par ailleurs, les références offi cielles
reconnaissent bel et bien que la nationalité
camerounaise relevant de la création de l’Etat
a bel et bien 50 ans en cette année 2007.
D’où le bien-fondé de la célébration du
Cinquantenaire de l’Etat du Cameroun qui,
à n’en pas douter, ne saurait se faire dans
une atmosphère de quolibets et autres joutes
politiciennes du genre : «Je suis beau, toi tu
es laid» ; «Je suis fort, toi tu es faible» attenant
à l’organisation des compétitions électorales.
2007 doit être une année de cessez-le-feu, de
la pause politique pour les besoins
d’introspection, de réfl exion et de
célébration.
Avez-vous l’impression que l’opinion
publique en général, et les autorités
camerounaises en particulier, sont
sensibles à votre plaidoyer ?
En effet, après plusieurs mois
de traitement des diverses
correspondances y relatives,
adressées au Premier ministre, chef du
gouvernement, le ministre d’Etat en
charge de l’Administration territoriale
et de la Décentralisation venait, en date
du 11 janvier 2007, de répondre au
nom du gouvernement à l’une de nos
correspondances datée du 13 octobre
2006. Sa réponse reconnaît, d’une part
l’envergure des manifestations relatives
à cette célébration, tout en déplorant
l’absence de crédits à sa disposition
pour leur réalisation.
La «charge émotionnelle» attachée à
la célébration des «noces d’or» de ceci
ou de cela, est une donnée naturelle
et humaine qui, sur ces entrefaites, ne
nécessite pas de pédagogie particulière
pour obtenir l’adhésion des masses populaires.
Par ailleurs, la fi erté nationale, tant reconnue
aux concitoyens de Roger Milla indique
bel et bien que le Cinquantenaire de ladite
nationalité ne saurait être qu’un assez grave
moment qui, mis à part le cas d’étourderie
exceptionnelle, ne devrait guère souffrir de
quelconque banalisation.
En un mot, les Camerounais ne demandent
qu’à fêter leur nationalité.
En quoi devraient consister les activités du
Cinquantenaire ?
Il s’agit d’une série de colloques, de
symposiums et de séminaires, d’une part, et
du défi lé du Cinquantenaire, jeudi 10 mai
2007 avec parade militaire ; d’une expositionphotos
sur Yaoundé de 1889 à 2007 ; de
célébrations oecuméniques et autres feux
d’artifi ces, bref, d’un programme qui reste
encore à arrêter défi nitivement. La singularité
de ce programme étant d’associer, autant que
faire se peut, l’ensemble des médias nationaux
à sa réalisation d’un bout à l’autre de l’année,
selon un format que nous allons proposer
incessamment aux médias précités.
Qu’en pensent les hommes politiques de
l’opposition ?
Je vous signale que la communication entre
les hommes politiques de notre pays n’est pas
la chose la plus aisée. Le Cameroun compte
aujourd’hui 200 partis politiques, et soyez
convaincu qu’il s’agit d’autant de destinées
appelées à exercer la magistrature suprême.
Pour ce qui est du Parti des fourmis, rappelons
pour votre gouverne qu’il s’agit de la petite
histoire d’un certain «Club les fourmis», fondé
en janvier 1985, c’est-à-dire 6 ans avant
l’avènement du multipartisme et quelques
mois avant le lancement du Rdpc. Ce club,
qui deviendra le Parti des fourmis, après avoir
été interdit d’activités par le Minat de l’époque
Jean Marcel Menguémé en septembre 1986,
n’a en réalité et quoi qu’on en dise, rien à voir
avec les diverses et multiples autres «aventures»
politiques.
Vous rappelez fort opportunément le Parti
des fourmis, dont vous êtes le président
et qui n’a visiblement pour tout militant que
vous-même…
C’est très bien dit ! Je crois que l’occasion
est assez bonne pour percer un certain abcès
de la médiocrité encore aujourd’hui vautré
derrière les réactions moutonnières d’une part,
et le populisme d’autre part. Karl Marx, pour
revenir à l’histoire, était bien seul lorsqu’il
rédigeait son Manifeste du Parti communiste.
Il n’en demeure pas moins vrai qu’un petit
livre de moins de 100 pages ait réussi à diviser
le monde en deux blocs qui s’observaient en
chiens de faïence pendant de mémorables
décennies.
L’anecdote signifi e simplement que les idées
en réalités sont des diamants. Eternels. Surtout
lorsqu’elles sont bonnes. De l’actuelle société
des éléphants et des lions, l’histoire retiendra
que nous avons proposé une société des
fourmis qui n’est pas sans renvoyer à l’ardeur
au travail, à l’humilité et à l’ingéniosité, bref
à l’effi cacité. Autrement dit, nous suggérons
de passer de l’actuelle «société du vedettariat»
à la société de l’anonymat, à l’instar de la
société japonaise, véritable bataillon de
fourmis d’où l’on ne distingue que rarement
des individualités, tandis que l’on perçoit sans
sourciller l’effi cacité d’un peuple.
N’êtes-vous pas un peu lunatique ?
Félix Houphouët Boigny le disait quelque
part : s’il ne fallait pas rêver, à quoi servirait
le ciel ? Le rêveur ivoirien – paix à son âme
– a tout de même laissé à l’Afrique l’une
des plus impressionnantes basiliques de
son cheminement. Nous pensons qu’au
Cameroun, la vie spirituelle des citoyens devra
bel et bien un beau jour rencontrer la vie
matérielle. C’est bien là la grande symbolique
de la construction des édifi ces religieux.
Cela nous permet d’introduire notre formule
politique de référence : «Nous voulons bâtir
une gigantesque Cathédrale-Mosquée-Temple
où chacun des millions de Camerounais
trouverait sa plus juste et bonne place.»
Février 2007
Entretien avec Félix C. Ebolé Bola
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