MWALIMU 90 (1922 - 2012)
Décédé il y a 13 ans (1999), rejoint en date à l'éternité par l'Algérien Ben Bella. Tous le deux, de la bande à N'krumah, Sélassié et autre Kényatta. Nyerere aurait eu 90 ans ce 13 avril 2012.
C'est un truisme - et nous le réaffirmons : Julius Kambarage Nyerere (1922-1999), alias, Mwalimu - instituteur, en Kiswahili - mérite d'être regardé non seulement comme étant le père de la libération de la plupart des territoires de l'Afrique australe ; mais, en plus, l'un des pères fondateurs et de la Sadc (South African development community) et de l'Organisation de l'Unité africaine (Oua) - actuelle Union africaine (Ua).
Né à Butiama, près du lac Victoria, ce 13 avril 1922.
A sa mort, il y a de cela 13 ans, ce 14 octobre 1999, c'est une onde de choc qui parcourut le Continent, du nord au sud, de l'est à l'ouest. Elle, qui secoua les populations de son Afrique, partageant, quasi-unanimement, la profonde douleur de son peuple tanzanien. Et le Directeur général de l'Unesco de l'époque, Federico Mayor, de lui rendre l'hommage, le plus vibrant et le plus mérité, formulé à l'endroit de cette (cit.) « voix majeure des peuples opprimés de l'Afrique et du Monde » (fin de cit.).
Baba wa taïfa - père de la nation, en Kiswahili !
Ce fut, certes, sinon, indéniablement, la force motrice menant vers l'indépendance de son Tanganyika natal, survenue le 09 décembre 1961, au bout de mémorable joute électorale, colorée et épicée, épique et caustique ! Ce fut également la cheville ouvrière, trois (3) années plus tard, de son unification avec l'ile de Zanzibar, enfin formalisée ce 26 avril 1964, avec la création inédite de la « République unie de Tanzanie ».
Leader charismatique à intelligence pointue, dont l'intégrité personnelle et l'humilité des manières crèveront des années durant autant d'écrans du monde, en défrayant moult et une chroniques par-là. Président, sans aucune peur bleue de son peuple chéri, sans obsession sécuritaire ! Ce Mwalimu que l'on percevait assez souvent, seul, au volant de sa plus que banale voiture, s'arrêtant comme tout le monde à chacun des feux rouges des ruelles d'Arusha ou de Dar es Salam! (Commune comparaison, disiez-vous, avec des « coupeurs de route », connus plus loin, décriés et… infatués ?).
Théoricien de l'Ujama'a, socialisme à l'africaine. Traducteur, habile et inspiré, de Shakespeare en son Kiswahili. Artisan, pour tout dire, de l'approfondissement de l'identité culturelle nationale de son pays - qui ne compte pas moins de 120 ethnies - toutes unies par ledit Kiswahili national. Un tel fond d'harmonie sociale, patiemment édifiée sous le tempérament trempé et l'esprit mesuré de son illustre Président aux idéaux de paix pratique ; de justice active ; d'unité négociée : de partage samaritain ! En l'occurrence, réussissant l'implication personnelle de tous et de chacun, sans exclusive, à la vie de la nation !
Sacré Mwalimu, bien connu pour son ferme soutien à la jeunesse de son pays ; pour sa pratique avérée de l'égalité des chances ; son culte approfondi de la tolérance parmi les citoyen(ne)s, et ce, en dépit de la diversité des races, des religions, des genres et/ou des statuts sociaux…
Lui qui encouragea, à titre particulier, la femme tanzanienne à jouer son rôle de premier plan dans la Cité, en légiférant d'emblée sur ce qui garantira son ferme quota de places au sein du parlement.
Lui qui, concrètement, propulsa graphiquement, entre autres, le jeune Salim Ahmed Salim, en le nommant sans attendre, à 22 ans seulement, ambassadeur de son pays à l'étranger. Ce « garçon de tonnerre », futur secrétaire général de l'Oua qui, en 1980, passera remarquablement à un cheveu seulement du perchoir diplomatique le plus élevé de la planète : le secrétariat général de l'Onu, n'eût été le veto américain, formulé en représailles contre ses accointances soupçonnées avec la Chine…
Autant relever une telle quête honnête, pour tout résumer, de société égalitaire, sur le plan socio-économique, conceptualisée dans sa théorie précitée de l'Ujama'a. Véritable fierté de l'Afrique en cette époque mémorable de bataille larvée, si propre à la guerre froide. Prônant l'autonomisation des collectivités locales. S'avérant cependant, chemin faisant, plus difficile qu'il ne l'avait envisagé, compte tenu des ressources, naturelles et humaines, particulièrement limitées en ce désert du Kalahari, au point que son auteur affirme, quasiment débordé, ce qui suit : « en Tanzanie, nous sommes bel et bien aptes à partager la richesse, mais cela ne suffit pas ! Je souhaite aussi que nous en ayons vraiment à partager »…
Laborieusement négociée en 1961, l'indépendance précitée de la Tanzanie, pays d'Afrique australe, constitue résolument, par la suite, le si précieux levain, source d'inspiration puissante pour tant de peuples tout autour, désormais dopés, ployant encore sous le joug colonial, certes, plus que jamais convaincus que « l'indépendance politique peut effectivement être recouvrée à travers des méthodes avérées non violentes ».
Volontaire inlassable, il marquera de son empreinte, tour à tour, les diverses luttes engagées, en leur portant de l'eau nécessaire : son assistance résolue et ferme jusqu'à l'aboutissement, aussi bien pour la Zambie (1964) ; que pour le Malawi (1964) ; le Bostwana (1966) ; le Lesotho (1966) ; l'Ile Maurice (1968) ; le Swaziland (1968) ; les Seychelles (1976)…
Aussi, chaque fois que tel ou tel autre peuple de la région se voyait acculé à procéder par la guerre pour négocier sa libération, Nyerere ne manquera-t-il pas de lui manifester son appui, passionné et actif - politique, matériel et moral - jusqu'à ce qu'il assiste à son issue concluante : l'accès effectif de la majorité au pouvoir suprême.
Chose faite, en 1975, pour le Mozambique de Samora Machel et l'Angola de Dos Santos ; suivi du Zimbabwe de Mugabe (1980) ; de la Namibie de Nujoma (1990), et enfin, comble de sa passion, l'Afrique du Sud de Nelson Madiba Mandela (1994).
Défenseur invétéré de la paix en Afrique et/ou ailleurs, Nyerere, jusqu'à sa mort, veillera constamment en tenant, ici et/ou au bout du monde, la dragée haute de la libération des peuples, de l'harmonie des cœurs, sous démocratie rayonnante...
Aussi, mettra-t-il naturellement son point d'honneur, par sa présence physique à Addis Abeba, en répondant positivement à l'invitation de son pair, Hailé Sélassié, ex-Négus de l'Ethiopie, ce 25 mai 1963, aux côtés des quelques leaders des pays africains - N'krumah, Kényatta, Ben Bella, Modibo Kéita et autres - déjà indépendants, pour la création effective de l'Organisation de l'Unité africaine (Oua), ancêtre de l'Union africaine (Ua). Son objectif principal n'étant autre que la libération politique du reste du continent.
Et son outil principal, le Comité de libération de l'Oua, dont la Tanzanie abritera le siège, dès sa création, pour encadrer de près la plupart des mouvements de libération des pays encore colonisés, en offrant, à un moment ou à l'autre, des commodités diverses, pour la base de leur action…
Quelques années plus tard, en 1980, Nyerere sera parmi les neuf (9) leaders réunis, en vue du lancement effectif de la South Africa Development Comittee Conference (Sadcc), devenue plus tard, la Southern African Development Community (Sadc).
Six (6) années auparavant, en 1974, le Mwalimu est l'un des trois (3) premiers leaders - Tanzanie, Zambie et Botswana - qui saisiront la lumineuse idée pour constituer l'entité dénommée « pays de la ligne de front » - leur nombre, porté à 14, bien des années plus tard ! Ce « front »-là qui œuvrera, matériellement et laborieusement, pour la sécurité commune. Déterminé à soutenir l'accès de la majorité au pouvoir dans tous les pays voisins. Placé à l'instant sous la présidence effective de… Julius Nyerere, doublé de sa qualité, aux côtés de Castro, de l'une des figures de proue du Mouvement des non alignés.
Faisant constamment preuve de sang-froid historique ! Menant, des décennies durant, sa lutte acharnée et tranquille contre la haine raciale et les forces de la répression ! Jusqu'à la chute effective du régime de l'Apartheid en Afrique du sud ! S'affirmant, par ailleurs, comme étant véritablement le précurseur incontesté des organes politiques, de défense et de coopération en matière de sécurité de sa Sadc.
L'on assistera enfin, successivement, aux changements politiques majeurs, survenus en Namibie (1990), puis, en Afrique du sud (1994). Concédant de facto à l'Afrique, son visage debout, plus radieux que jamais, sinon, le plus fermement attendu dans le concert terrestre. Clou et complément final ! Véritable… point d'achèvement du glorieux travail du comité précité de libération de l'Oua...
Demeure et persiste en date l'actuelle et toujours si lancinante question du développement socio-économique de ce continent noir qui, malgré le lancement tonitruant de son Nepad, continue désespérément à stagner dans des conflits sanglants causés par-ci, par des armes non identifiées, insidieusement mises en circulation ! L'antique Nigritie qui, par-là, ajourne délibérément son propre développement, jusqu'à l'hypothéquer bêtement, voire, consciemment ou non, dans des modifications nombrilistes de la constitution, à gauche ; des congés paradisiaques, au milieu ; des violations de ses propres lois, signalées plus loin...
Cela étant, les populations tanzaniennes peuvent toutefois aujourd'hui, quant à elle, bel et bien se frapper la poitrine d'avoir, mieux que plusieurs autres peuples d'Afrique, contribué, sous la houlette de Nyerere, à la libération effective de plusieurs de leurs voisins d'Afrique australe, et ce, à travers des opérations précises de charité active et de solidarité publique, manifestée, aussi bien par l'accueil émouvant de tant de réfugiés ; que par la donation régulière des tonnes de vivres et autres fruits de la terre ; sans passer sous silence la collecte si touchante et l'envoi des habits ; en plus de l'argent liquide, directement prélevé chez l'homme de la rue...
Sous ce dernier chapitre, l'une des plus grandes campagnes organisées par Nyerere consista à recueillir directement le modique et singulier 'shilling' auprès de chaque citoyen, et ce, pour une somme destinée à aider directement le peuple mozambicain.
Last but not least, signalons sa griffe, la plus marquante de toutes, en matière de projets structurants : le plus impressionnant, conçu et réalisé par le Mwalimu de notre Afrique. Avec l'appui financier et technique de la Chine de Mao Tse Toung. En étroite collaboration avec le Zambien Kenneth Kaunda. Il s'agit, en l'occurrence, des 1879 km de chemin de fer, Tanzanie-Zambie : le célèbre Tanzam.
Véritable poumon de la libération socio-économique de ladite région. Projet retenu en date comme constituant la deuxième « grande muraille » ! Construite, celle-là, hors de la Chine ! Ayant mobilisé, de 1970 à 1975, pas moins de 15.000 Chinois, quelque 40.000 Africains, pour ériger, laborieusement, ses 2000 ponts et viaducs qui, en date, relient ses… 147 gares ! Le Tanzam-là qui, en 2012, demeure la plus grande réalisation technique jamais effectuée par la Chine en Afrique !...
Relevons aussi, pourquoi pas, son unique et historique succès militaro - diplomatique daté de 1979 contre certain grotesque personnage de son voisinage immédiat : Idi Amin Dada, ex-président de l'Ouganda. Réagissant à l'attaque, injustifiable, de ce dernier, le Mwalimu lui enverra, en retour habile et objectif, la prestance systématique de son expédition punitive ! Spectaculaire ! Lui faisant de facto abandonner son pouvoir si décrié de terreur sanguinaire, pour un exil définitif, jusqu'à sa récente mort, en Arabie saoudite. Coût de l'opération : $500 milliards ! (Mais, qui donc avait payé ? Dites-nous !).
Pour retracer enfin, en un mot ou en deux, la remarquable souplesse intellectuelle de Nyerere, relevons, à propos de la Sadcc, la répartition ci-après des tâches : la décision de sa création, prise à Arusha, Tanzanie ; son lancement à Lusaka, Zambie ; tandis que le Botswana devait en héberger le siège…
Un peu pour souligner jusqu'à quel degré Nyerere savait se faire violence, n'ayant eu de cesse d'encourager ses pairs - parmi lesquels le défunt président Botswanais Seretse Kama - pour assurer la mise en place effective, jusqu'à en garantir la fonctionnalité. Ce Botswanais qui, au cours de la mise en place de ladite Sadcc, en avril 1980, en dira prémonitoirement les difficultés à venir, en affirmant ce qui suit : « la bataille pour la libération économique sera tout aussi rude qu'aura été celle de la libération politique »...
Finalement constituée en 1992 par le traité de Windhoek, la Sadc va sitôt décliner sa vision du libre échange, et ce, dans le cadre de convention, formellement rédigée, puis, ratifiée plus tard en 2008. Quitte à permettre à ses membres, depuis lors, de développer chacun, de façon autonome, sa vision nationale à l'horizon 2016 ou 2020. Alors même qu'adopté plus tôt en avril 1980, le Plan d'action de Lagos, initié par l'Oua tablait, lui, sur la période 1980-2000, pour le développement effectif, socio-économique, de chaque zone de l'Afrique.
C'est effectivement, et très précisément, en cet historique sommet de l'Oua de Lagos, ayant siégé quelque temps après le lancement précité de la Sadcc, que les leaders africains, sous l'impulsion remarquée de Nyerere et de Khama, réaffirmeront d'emblée leur détermination à mettre en place la Communauté économique africaine (Cea) à l'horizon 2000, à l'effet d'assurer l'intégration économique, sociale et culturelle du Continent».
L'objectif déclaré de cette Cea, selon la terminologie rendue populaire par Nyerere, consistant à « promouvoir le développement collectif, accéléré, autonome et durable de l'ensemble des pays membres; la coopération parmi tous les Etats pour leur intégration effective dans les champs économique, social et culturel» .
Puis, en 1985, ce fut le retrait du pouvoir, sur la pointe des pieds, de Julius Nyerere! Suivi, en 1990, de son retrait politique, à titre définitif : il cédait, enfin et aussi, son siège de président de son parti, le Chama Cha Mapinduzi.
La Tanzanie, depuis lors, aura connu en tout trois (3) différents présidents, sous transition stable et démocratique, harmonieuse et pacifique. D'Ali Hassan Minyi - deux mandats de cinq (5) ans - à Jakaya Kikwete, réélu en 2010, en passant par les deux mandats de cinq (5) ans de Benjamin Mkapa.
Plus que jamais libre, Nyerere peut à présent déployer le restant de son énergie dans des médiations pour la paix, là où effectivement des brasiers se signalaient (cf. Burundi), en Afrique ou ailleurs. Se consacrer, par ailleurs, à son grand dossier de prédilection, relatif au renforcement des mécanismes et rapports de coopération et de développement sud-sud.
Il présidera ainsi, de 1987 à 1990, la fameuse « Commission Sud », en dédiant une décennie au service de certain « South Centre », également marquée par la levée des fonds pour sa « Mwalimu Nyerere Foundation (Mnf) », créée et basée à Dar es Salam.
Le triomphe modeste, que dire de mieux enfin, au sujet du Mwalimu, Julius Nyerere ? En odeur de sainteté, le Vatican catholique envisage en date, ni plus ni moins, sa béatification, d'ici peu ! Lui qui, tant et souvent, affirmait ce qui suit : « ma génération a au moins atteint un objectif, la libération politique de l'Afrique. Aux générations futures de s'attaquer aux autres défis persistants (et connus) ».
Donnons, pour tout conclure, la parole à son proche ami et collègue, Dr. Kenneth Kaunda, ex-président de la Zambie, champion d'Afrique en titre de football : «la meilleure façon de le pleurer, c'est justement de continuer, à partir de là où il s'est arrêté »…/-
(13 Avril 2012)
Daniel Boo,
Président du Parti des Fourmis
Représentant CEMAC de la MNF
(Mwalimu Nyerere Foundation,
Dar es Salam, Tanzania)
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