CENTENAIRE DES MARTYRS D’AFRIQUE (1914-2014)
Hommage Académique à Adolphe Bogso
Chers Amis, chers Frères et Sœurs,
Bogso Adolphe avait fait de hautes études sanctionnées par de nombreux diplômes et il avait occupé de hautes fonctions administratives dans notre pays. Mais, au-delà des diplômes universitaires qu’il obtint, au-delà des postes administratifs qu’il occupa, Bogso Adolphe aura surtout été pour moi, l’Intellectuel accompli. C’est un aspect de sa vie assez resté mal connu.
Mon Témoignage porte ainsi sur l’Intellectuel, Bogso Adolphe.
L’Intellectuel n’est pas à ravaler à ce collectionneur des diplômes qui, en effet, gravit tous les grades universitaires en se contentant de faire du psittacisme. L’Intellectuel, me semble-t-il, c’est celui-là qui produit des idées; formule des opinions; les soutient publiquement, en cherchant à faire bouger les lignes du savoir dans la société où il vit.
Bogso Adolphe était d’abord un praticien de l’Economie et, plus particulièrement, un Monétariste (spécialiste de la monnaie). Il fut en plus de quoi, et ce, pendant plusieurs années, chargé des problèmes économiques et monétaires au Ministère des Finances. Mais, Bogso Adolphe se fera davantage remarquer comme éminent économiste, de par la réflexion qu’il développa sur divers sujets économiques et monétaires concernant le Cameroun, en particulier, l’Afrique, en général.
Pour illustrer le travail intellectuel de Bogso Adolphe, permettez-moi d’évoquer rapidement ici, cinq (5) de ses études et publications dont j’ai pu avoir connaissance :
Premier texte : « L’application à l’économie camerounaise des théories relatives aux relations entre Croissance et Investissement. »
C’est le sujet de sa Thèse de doctorat qu’il ne put malheureusement soutenir à la fin de ses études universitaires au début des années 1970, à cause de certaines contingences, peu ou proue connues.
Deuxième texte : « La mondialisation : faut-t-il tuer l’Etat ? »
Article publié dans le journal ‘Le Messager’ du 22 mars 1992. Il y soutient que la croissance n’est pas le développement. Il fait en plus remarquer que, si les pays industrialisés ont comme problème la croissance, le développement demeure le vrai problème de nos pays.
Troisième texte : «Les conditions du succès d’une dévaluation».
Article paru dans Cameroon-Tribune du 10 mars 1994. Il se montre plutôt dubitatif quant aux résultats de cette opération…La suite que nous connaissons tous semble lui avoir donné raison.
Quatrième texte : «Zone Franc et Euro : quels sont les enjeux?».
Article publié dans le journal ‘Le Messager’ du 17 février 1997. Il s’insurge quelque peu contre les certitudes de certains grands Professeurs d’Université qui prédisaient alors l’imminence de la désintégration de la Zone Franc, après l’arrimage du Fcfa à l’Euro. Il disait que c’était ignorer les mécanismes fondateurs du Fcfa…La preuve de la justesse de son analyse est que le Fcfa est toujours là, 17 ans après, malgré son arrimage effectif à l’Euro !
Cinquième et dernier texte : « L’Etat et le Développement économique en Afrique».
Article publié dans le Quotidien l’Actu du 25 juin 2012. Je considère personnellement ce dernier texte comme le Testament économique (pourquoi pas politique aussi) de Bogso Adolphe. Il s’agit d’un véritable condensé de ses idées sur le développement économique de nos pays.
Il revient sur le rôle central et incontournable de l’Etat dans le développement économique de nos pays. Il convoque pour cela les exemples des grands pays capitalistes eux-mêmes, où l’Etat joua les premiers rôles comme Etat-entrepreneur de l’industrialisation.
Il soutient que l’activité économique de développement doit être l’affaire des forces intérieures, les financements extérieurs devant être seulement complémentaires et essentiellement constitués de l’apport du savoir-faire technologique des techniciens étrangers dans les usines créées par l’Etat. Les techniciens étrangers sont appelés à être remplacés progressivement par les techniciens nationaux dûment formés. D’où la nécessité d’une ambitieuse politique de formation des cadres techniques tant à l’intérieur de nos pays que dans les pays technologiquement plus avancés. C’est cette politique que le Japon appliqua dès 1868 avec la décision de son mythique Empereur, Mutsu Hito de transformer radicalement l’économie de son pays, alors basée sur la paysannerie, l’artisanat et le commerce, en une économie basée sur l’industrialisation, c’est-à-dire la mise en place par l’Etat d’usines qui, à leur seuil de rentabilité, étaient vendues aux entreprises privées nationales naissantes.
Il évoque l’expérience de «l’Etat entrepreneur et développementaliste», que tentèrent certains dirigeants africains au lendemain des indépendances.
Il cite en exemple le Cameroun avec de nombreuses entreprises industrielles créées par l’Etat, avant que le Programme d’Ajustement Structurel (Pas) du Fmi-Bm ne vienne briser cette dynamique…
Vingt ans après, c’est l’échec du Pas que l’on cherche à présenter aujourd’hui comme un succès avec la soi-disant reprise économique africaine et ses taux de croissance mirobolants.
Il insiste sur le fait que l’exploitation brute de nos minerais exclusivement destinés à l’exportation tout comme l’agriculture dont la production est exportée à l’état brut, ne sauraient constituer la base du développement. Il faut transformer, manufacturer ces productions minières et agricoles sur place, en grande partie.
Enfin, s’écartant du crédo des Fmi & Bm, selon lequel, le secteur privé est le moteur du développement, Bogso Adolphe conclut son article en écrivant ce qui suit:
«L’Etat africain doit se débarrasser de l’idée fausse et anesthésiante, selon laquelle, le secteur privé, de quelque origine qu’il soit, pourrait catalyser le progrès industriel du continent noir, même dans les cinq (5) prochaines décennies.
Aussi, conclut-il, est-il impérieux pour l’Etat de reprendre l’initiative de la relance du processus industriel».
Je termine ce Témoignage, que dis-je, cet hommage par une citation prêtée au Pr. Tchundjang Pouemi, s’adressant à ses étudiants en sciences économiques de l’Université de Yaoundé : «Si vous ne maitrisez pas votre monnaie, si vous ne manufacturez pas, c’est-à-dire, vous ne fabriquez pas de façon industrielle, vous ne ferez rien, vous ne pèserez rien, absolument rien !».
Cette préoccupation du Pr. Tchundjang semble avoir été aussi celle de Bogso Adolphe, tout au long de ses écrits.
Grand frère Adolphe, va, repose en paix. Ton apport intellectuel à la science économique au service de nos pays te survivra certainement, ton humilité dut elle en prendre un coup!
Massok/Songloulou, 25 octobre 2014
Dr. Maurice Makek, PH/ONVC
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